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Tomás García AzcárateEconomista especializado en PAC y mercados agroalimentarios
10 min

Réflexions sur le projet de reprises de l’entreprise espagnole UVESA par la conglomérat ukrainien MHP

30 April 2025
Compra de Uvesa por MHP

30 April 2025

Je suis ravi de partager sur mon blog 'Les pilules de la PAC' ces réflexions communes que mon ami Christophe Hamon, expert agricole chevronné et fin connaisseur des couloirs bruxellois, et moi-même avons menées à la suite de l'arrivée d'un géant ukrainien en Espagne. Mais notre réflexion va au-delà de cette opération spécifique, pour nous demander quel type d’agriculture nous voulons en Europe.

MHP, entreprise internationale leader dans le secteur agroalimentaire, a annoncé le 20 mars 2025 la signature d'un accord d'achat d'actions pour 91,77 % du capital social d'UVESA. Le gouvernement espagnol a autorisé l’opération.

Que dire de la valeur de reprise du Groupe UVESA qui est passée de 275 M.€ à 430 M.€ en quelques semaines, avec l’action portée de 150 € à 225 voire 246 €, apparemment pour ravir la mise face aux deux autres repreneurs qui auraient manifestés aussi un intérêt, l’espagnol Grupo Fuertes et le portugais Lusiaves?

Pour comprendre son importance, il convient de s’arrêter sur ce que représentent à la fois UVESA et MHP. 

Le Groupe UVESA est une entreprise espagnole leader dans le secteur agroalimentaire qui, depuis plus de 60 ans, s'est imposée comme l'un des principaux producteurs de volaille et de porc, en plus de fabriquer des aliments pour animaux à usage domestique. Bien que sa position exacte puisse varier en fonction des critères (volume de production, chiffre d'affaires, etc.), UVESA serait la troisième plus grande entreprise espagnole de viande, derrière Campofrio et Grupo Fuertes, avec un chiffre d'affaires annuel d'environ 1 milliard d'euros et plus de 2 000 employés dans ses fermes, ses usines et ses bureaux. 

MHP (Myronivsky Hliboproduct) est l'une des plus grandes entreprises agro-industrielles d'Ukraine et un important producteur de viande de poulet dans le monde. Fondée en 1998 à Myronivka, elle produirait (chiffres d'avant-guerre) plus de 600.000 tonnes de viande et aurait plus de 30.000 travailleurs. Elle possède, ou contrôle, 370.000 hectares en Ukraine, dont 15.000 seraient situé s dans les zones contrôlées par la Russie du Donbass et de Kherson.

Par exemple, Myronivska Poultry Farm, dans la région de Tcherkassy, est une entreprise à cycle fermé (de la production de poussins d’un jour à la viande de poulet de chair. Elle comprend un incubateur et une station avicole d'une capacité de 185 millions d'œufs par an ; 27 sites de production avec 432 poulaillers, d'une capacité totale d'environ 24 millions de têtes, et un complexe de transformation de poulets de chair avec deux lignes d'abattage d'une capacité de 14 000 têtes par heure chacune, qui comprend également un atelier de produits techniques et ses propres installations de traitement biologique. En 2021, 157 millions de poulets ont été élevés dans la ferme avicole 281 mille tonnes de viande de volaille ont été produites et elle employait plus de 3.000 personnes.

 Youri Kosy 

Yuriy Kosyuk est le fondateur et principal actionnaire de MHP, avec une partie de sa famille et quelques actionnaires minoritaires, et est l'un des hommes les plus riches d'Ukraine. Selon Forbes (2024), sa fortune serait d'environ 1 milliard de dollars.

Comme tous les grands chefs d’entreprise des pays qui ont connu d’importantes vagues de privatisations après la fin du socialisme bureaucratique, Yuriy Kosyuk a maintenu des relations étroites avec le nouvel establishment politique. Avant l'élection de Zelensky (2019), Kosyuk avait des liens avec les gouvernements précédents, notamment celui de Petro Porochenko et, avant cela, celui de Viktor Yanoukovich. Il a gardé ses distances pendant la Révolution de la Dignité, le mouvement de protestation massif qui a eu lieu en Ukraine entre novembre 2013 et février 2014, en réponse à la décision du président de l'époque, Viktor Lanoukovy suspendre la signature de l'accord d'association avec l'Union européenne (UE), choisissant plutôt de se rapprocher de la Russie.

Sa relation avec le président Volodymyr Zelensky serait un mélange de coopération pragmatique et de tensions. En 2021, Zelensky a fait adopter une loi controversée visant à limiter le pouvoir des oligarques, mais Kosyuk n’a pas été officiellement inclus sur la liste.

La société est également cotée à la Bourse de Londres. En 2022, MHP a signalé une baisse de 30 % de ses revenus en raison de la guerre, bien qu'elle se soit partiellement redressée en 2023.

L'aide européenne 

MHP a été l’un des principaux bénéficiaires des politiques de l’Union Européenne à l’égard de l’Ukraine, notamment en termes de financement de la sécurité alimentaire et d’accès commercial préférentiel. En 2022, la BERD a accordé à MHP un prêt initial de 50 millions de dollars pour assurer la sécurité alimentaire et maintenir la production de poulet et de céréales pendant la guerre et, en 2023, un prêt supplémentaire de 30 millions d'euros pour compenser les pertes logistiques et convertir les usines aux énergies renouvelables (biogaz).

En 2013, la Banque européenne d'investissement lui avait accordé un prêt de 100 millions de dollars "pour soutenir l'expansion et la diversification du groupe". Sans préciser l'utilisation finale des fonds, la BERD a noté dans le même communiqué l'acquisition d'un "groupe agricole situé dans la région de Voronej, au centre de la Russie. Voronezh Agro possède 40 000 hectares de terres, dont la majeure partie appartient à l'entreprise, et exploite des silos à grains d'une capacité totale de stockage de 200 000 m³".

En 2014, après l’annexion de la Crimée et les sanctions occidentales contre la Russie, MHP a mis fin à ses activités. Selon Concorde-capital, citant ses communiqués de presse, MHP, aurait annoncé un échange avec les 60.000 hectares que possédait la société russe Voronezh Agro en Ukraine.

La même source indique que, par suite de la prise de contrôle de la Crimée par la Russie, les installations de MHP dans cette région seraient passées sous contrôle d'une filiale chypriote

En 2017, la BERD a accordé un deuxième prêt de 80 millions d'euros pour financer la modernisation des usines de transformation de poulet afin de les adapter aux normes de l'UE en matière de sécurité alimentaire et de durabilité et pour l'extension des capacités de stockage des céréales, ainsi qu'une ligne de crédit pour les énergies renouvelables de 50 millions d'euros supplémentaires pour l'installation de biodigesteurs dans les élevages de volailles et pour l'énergie solaire dans le but de réduire la dépendance au gaz russe. 

En outre, en coordination avec l’Union Européenne, elle a inclus MHP dans les programmes d’urgence de sécurité alimentaire, notamment le refinancement de la dette, la restructuration des prêts antérieurs pour éviter les défauts de paiement et les garanties á l’ exportation.

Autres investissements hors d'Ukraine

En 2015, MHP a créé une filiale à Veenendaal , aux Pays-Bas, en collaboration avec la société néerlandaise Jan Zandbergen. Cette installation sert de centre de transformation de produits destinés au marché européen, permettant à MHP de contrôler et de gérer ses exportations depuis l'UE. L'investissement a été réalisé à hauteur de 3,5 millions d'euros.

En 2018, MHP acquiert Perutnina Ptuj, principal producteur de volailles en Slovénie, avec des opérations en Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie et des bureaux commerciaux en Autriche, Macédoine et Roumanie. Cette acquisition permet à MHP de renforcer sa présence en Europe centrale et orientale et ses activités dans ce secteur et dans l´alimentation animale.

En 2024, MHP racheta 7 autres fermes avicoles, cette fois en Albanie et au Kosovo

Selon la revue Poultryworld , MHP aurait lancé, en collaboration avec le Groupe FavBet , connu par le public local pour ses affaires de paris sportifs , un projet à grande échelle visant à construire deux giga-fermes avicoles en Croatie, avec l´objectif d´atteindre annuellement 90 millions de poulets, 200.000 tonnes de poulet par an et 3.500 travailleurs. Pour les porteurs de ces projets, il va sans dire qu’ils devraient être assurés du soutien d’investisseurs institutionnels comme la BERD, la BEI, la Banque croate pour la reconstruction et le Développement. On parle d'un financement européen qui pourrait couvrir 60% du coût de l’opération.

Quelle agriculture voulons-nous?

La trajectoire de MHP et son arrivée en Europe soulèvent une première question importante: quel type d’agriculture voulons-nous en Europe? Le modèle MHP est celui d´une entreprise agricole à grande échelle, sans aucun doute rentable, mais aussi plus vulnérable aux épidémies et aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement comme celles que nous avons connues avec le COVID, la guerre en Ukraine ou le blocage du canal de Suez.

Lors de l’accord donné par les autorités slovènes en 2018, MHP affirmait "que l’entreprise franchit une étape stratégique avec cette expansion … et s’engage à améliorer la qualité de la production de Perutnina Ptuj afin de répondre aux normes européennes les plus strictes. Cette coopération bénéficiera aux éleveurs et aux employés locaux avec un impact sur la filière avicole locale… ". C´est une déclaration quasi à l’identique á celle que les représentants de MHP viennent de faire en Espagne à la suite de l'acquisition d'UVESA.

Quant aux agriculteurs polonais et hongrois, ils ont accusé MHP d' "inonder" leurs marchés de poulet bon marché, grâce aux exemptions tarifaires, ce qui a conduit l’Union européenne à imposer des restrictions temporaires sur l'importation de certains produits ukrainiens en 2023.

Quelle agriculture soutenons-nous avec l’argent des contribuables?

Le gouvernement espagnol disposait de peu d’outils pour s’opposer à l’opération d’UVESA. Il s’agit d’une prise de participation même majoritaire, sans qu’il y est un risque de position dominante et donc, encore moins, d’abus de position dominante.

On peut plutôt se demander s’il est judicieux que des fonds publics, largement européens et toujours insuffisants par rapport aux besoins, soient investis dans des entreprises de cette taille au risque de servir à générer des surenchères synonyme de concurrence déloyale avec les entreprises européennes du secteur!

Le document contenant les résultats du Dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture et la "Vision pour l'agriculture et l'alimentation" de la Commission Européenne soulignent pourtant tous les deux l'importance de la cohérence entre les différentes politiques européennes et la nécessité de renforcer leurs synergies.

Quand nous parlons de soutenir l’agriculture ukrainienne, quand nous parlons de montrer notre solidarité avec le peuple ukrainien, pensons-nous à ce type d’entreprises?

Une entreprise qui continue d’exporter massivement, qui est capable de continuer à fonctionner et à gagner de l’argent malgré la fermeture des ports de la mer Noire (réouverts partiellement par la suite avec l’accord de l’ONU) et qui utilise les routes terrestres vers l’Europe via la Pologne et la Roumanie, malgré leur coût plus élevé, a-t-elle besoin de l’aide des contribuables européens?

Nous parlons aujourd’hui de la BEI et de la BERD. Mais avec l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne demain, voulons-nous que les 370.000 hectares de MHP bénéficient des subventions de la PAC? Dans un contexte de rigueur budgétaire, considère-t-on comme acceptable de réduire les aides aux agriculteurs (essentiellement familiaux) européens d’aujourd’hui pour financer ces entreprises, tant par des aides directes que par des aides à l’investissement, même s’il s’agit de financer la mise aux normes européennes, comme l’a déjà fait la BEI? N’est-il pas plus logique de penser que ces entreprises peuvent autofinancer ces investissements?

Comme vient encore de le rappeler l’organisation européenne de l’aviculture "l’AVEC ", n´est-il pas plus logique d’interdire les financements pour ce type de développement?


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